Le témoignage qui suit a paru dans le journal CTC info de février 2024 (CTC = Communauté de Travailleurs chrétiens)
Un certain regard sur une façon de “vivre l’asile”.
Depuis l’afflux de demandeurs d’asile en Europe en 2015, Christiane et James ont tissés des liens avec plusieurs de ces personnes arrivant chez nous. Christiane apporte leur témoignage.
Une expérience de vie tout simplement, mais quelle aventure !
Mon mari et moi avons passablement voyagé et avons été migrants « volontaires » nous aussi dans notre jeunesse (nous n’étions pas chassés par la guerre). Accueillis, bien ou moins bien selon les raisons des rencontres ou en fonction de nos besoins et des besoins de ceux que nous rencontrions, la question de l’accueil et le ressenti du « migrant » reste bien réelle, quelle que soit la raison pour laquelle il voyage.
Le mot “asile” nous semblait recouvrir plutôt actuellement, une sorte de devoir moral collé aux habitants de la Suisse face à des personnes venant d’ailleurs et dépendantes des décisions prises par le gouvernement pour pouvoir prendre un temps de paix hors pauvreté ou hors conflit. On pense se donner, en tant que Suisse, une (bonne ?) conscience, être investi d’un devoir, d’une mission ; être bon élève en accueillant des migrants. De très loin si possible (c’est mieux « reconnu », plus intéressant) !
Dans notre jeunesse nous avons côtoyé des migrants de par notre situation familiale ou professionnelle (les Hongrois en 1956, les Chiliens en 1973, les boat’s people du Vietnam en 1976 puis les Tamouls en 1983, les Angolais dans les années 1990…).
Arrivés à la retraite et ayant migré au Jura en 2015 après une vie professionnelle effectuée principalement dans le canton de Vaud, nous nous retrouvons informés (et non directement concernés) par la problématique des difficultés dans l’accueil de migrants au Jura, venant d’Afghanistan plus particulièrement, ainsi que d’Érythrée, Syrie et autres pays d’Afrique. Comment s’investir un tant soit peu pour donner un coup de main ?
Avec des nouveaux amis jurassiens tout aussi désireux que nous d’agir face à cet afflux, mais freinés dans leur ardeur par des lois, des règlements, des empêchements de toutes sortes, nous offrons nos services en participant à la mise sur pied d’un collectif citoyen qui a permis d’agir, de prendre contact avec ces voyageurs cherchant un point de « pause » et organisons un service de parrainages. Un migrant (ou une famille de migrants) et une personne de Suisse (ou une famille du Jura) se rencontrent, partagent un repas ou un simple moment, le but étant d’aider les migrants pour l’apprentissage de la langue locale et de faciliter leur intégration en Suisse.
Une année ou deux plus tard, après avoir mis en relation une trentaine de paires ou familles migrants-accueillants nous créions une association avec des amis cherchant, comme nous, quelque chose de plus structuré : L’Association «Juramigrants » est née (voir le site juramigrants.ch ). Entourer, aider au quotidien, organiser, engager des démarches auprès des autorités, dans les milieux professionnels, en collaboration avec l’AJAM (association jurassienne d’accueil des migrants) qui, elle, pourvoit aux besoins de base des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés attribués au Jura.
Notre engagement s’est vraiment intensifié lorsque nous avons reçu un appel à l’aide pour une famille se trouvant dans une situation de grand besoin. Le témoignage qui suit relate dans quel état d’esprit nous avons agi et agissons en gardant bien sûr toute discrétion quant à leur situation familiale. Ce que nous abordons n’est pas l’apanage de notre attitude, dans un seul cas, dans nos partages avec des migrants. Nous avons gardé contact avec plusieurs personnes dans ces situations d’accueil et respectons leur anonymat dans tous les cas.
Pourtant, cet appel nous a marqués. Est née, dès ce jour, une relation de personne à personne, sans autre étiquette que « aidant-aidé », demandeur à personnes disponibles et disposées à offrir un coup de main, coup de tête aussi (il a fallu déranger nos neurones pour trouver des solutions à des situations qui semblaient parfois sans issue). Mais ça, on ne le savait pas encore !
En est découlée une succession de rencontres, plusieurs fois par semaine, souvent pendant quelques mois (…années!), en parcourant des kilomètres tellement la situation était compliquée entre plusieurs cantons dans lesquels il fallait se rendre pour régler des problèmes administratifs, pour veiller au suivi de leur santé physique ou parfois psychique, pour garantir la bonne compréhension de documents, faire intervenir des avocats dans certaines situations, etc.
Toutes ces démarches ne nous ont coûté que du temps (de l’argent parfois aussi, ne le nions pas), mais aucun effort contre notre volonté. Ça venait tout seul, ça coulait de source, ça «devait» être fait. Et c’est ce qui nous a amené le plus de joie : faire sans se forcer, être bien dans sa tête de l’avoir fait, par conviction selon le moment et les faits, en espérant un résultat, le meilleur possible selon le chemin réservé à chacun.
La confiance, les rencontres enrichissantes avec tous les protagonistes, la défense absolue lorsque la justice n’était pas respectée, tant de situations qui permettent aux uns comme aux autres de grandir.
Finalement chacun fait son chemin, nous sommes liés depuis des années. Les termes familiaux tels que «Papa, Maman» se glissent parfois dans les relations. Tout n’est pas toujours rose et facile, loin s’en faut ! Chacun apprend un peu de la vie de l’autre avec, parfois, de grandes incompréhensions mais un enrichissement certain dans le partage de nos différences. De notre côté «suisse», il a fallu accepter que la «vérité-suisse» n’était pas la seule valable au monde. Nous pouvions leur apprendre à s’adapter aux us et coutumes d’ici, tout en apprenant bien des choses intéressantes sur leur façon de vivre. Tout est DIFFÉRENT, tout n’est pas juste ou faux. Leur montrer le mieux possible ce qui pourrait leur être utile pour un mieux-être ici en Suisse. Après, chacun choisit son chemin, sa façon de vivre. Oser ces rencontres ne peut être qu’enrichissant !
Au pire il peut y avoir incompatibilité comme avec n’importe qui. Faut-il pour autant se préserver de l’expérience du partage, de la découverte, du bout de chemin à parcourir ensemble, sans se croire fautif de ne pas pouvoir maintenir “pour toute la vie” cette relation ? L’éloignement progressif ne signifie pas forcément un rejet. L’indépendance n’est pas interdite !
Tout peut arriver : les grandes ou petites joies, les peines aussi. La peine de ne pas être compris. Celle aussi de ne pouvoir comprendre parfois les réactions de l’autre, de vouloir sans le pouvoir mettre les étrangers dans notre moule suisse. La contrariété aussi d’aller un bon bout de chemin puis de se trouver dans une impasse, une distance s’installant peu à peu. Et alors? Pas d’obligation à aider ! On offre ce qu’on veut, ce qu’on peut, quand on peut et comme on peut. L’autre fait de même et chacun construit sa vie avec ce qu’il pense être le meilleur pour lui et pour les siens.
Tout ça il a fallu l’apprendre, l’expérimenter. Espérons juste être utiles quand il le faut, quand la demande est là, en sachant mettre aussi les limites lorsque cela semble nécessaire…et…VIVE LA VIE !
Christiane Christe
En écho à ce témoignage pour bien comprendre les méandres du
droit d’asile en Suisse, nous avons demandé à Lucine de nous l’expliquer
Lucine travaille depuis 18 ans au service « réfugiés » du Centre social protestant de Genève en tant qu’assistante sociale. Elle préside également la Coordination asile.ge depuis de nombreuses années. Ces expériences lui donnent une très bonne connaissance de la réalité genevoise, mais aussi plus largement de la situation en Suisse.
A Lucine : En écho au témoignage : un certain regard sur une façon de « vivre l’asile », j’apporte quelques éléments de contexte.
Tout d’abord, il faut rappeler que le droit d’asile est un droit d’exception, dans le mauvais sens du terme. En 2001, une offre d’emploi de juriste au CSP Genève, service « réfugiés » spécifiait : « ce poste peut s’avérer passionnant pour quelqu’un qui n’a pas peur d’affronter une réalité juridique assez éloignée des grands principes ».Aujourd’hui, on pourrait ajouter… de plus en plus éloigné…
Depuis 1979, et la première loi sur l’asile, nous n’avons connu que des durcissements successifs pour arriver au système actuel, largement insatisfaisant. L’entrée en vigueur des accords de Dublin et l’utilisation récurrente de certaines clauses complexifient encore la situation. Il ne faut jamais l’oublier, car c’est dans ce cadre extrêmement restrictif que doivent évoluer les personnes en demande d’asile, les personnes reconnues comme réfugiées (permis B réfugié), les personnes ayant obtenu une admission provisoire (permis F) ou encore les personnes déboutées de leur demande d’asile (souvent nommées « les papiers blancs »).
Les droits des personnes sont différents selon les statuts, en particulier en termes de droit au regroupement familial, à la liberté de mouvement et d’installation, au droit de voyager ou encore au montant d’aide sociale.
L’aide sociale est de la compétence des cantons qui la déclinent de différentes manières. Elle est toujours inférieure pour les personnes titulaires d’un permis N ou F, ce principe est inscrit dans la loi. Elle est réduite à une aide d’urgence pour les personnes déboutées (selon l’article 12 de la constitution suisse). Ces différences sont inscrites dans la loi.
Les personnes titulaires d’un permis B réfugié ou d’un permis F ont les mêmes droits en matière de mesures d’intégration et d’accès au marché du travail (aucune restriction). En pratique, c’est bien différent et beaucoup plus difficile pour les personnes avec un permis F. Les mesures d’intégration sont définies par l’Agenda intégration suisse (AIS), mais ont des déclinaisons cantonales. Concernant l’accès au marché du travail et à l’emploi, je recommande l’excellente brochure https://asile.ch/emploi/
Last but not least (ça suffit), la thématique de l’asile est omniprésente dans les médias et les débats politiques. Largement instrumentalisée, on pourrait croire que la Suisse est submergée de réfugié.e.s ou de demandeur.euse.s d’asile. La réalité des chiffres est tout autre : les personnes ayant déposé une demande d’asile, les personnes reconnues comme réfugiées ou admises provisoirement ainsi que les personnes en procédure de renvoi représentent en tout et pour tout 1.6% de la population vivant en Suisse !
Et la société civile ? L’engagement au quotidien de citoyens et de citoyennes ordinaires est très précieux et nécessaire, à plus d’un titre. Il apporte de l’humanité et de l’hospitalité aux personnes réfugiées, ce qui a une valeur inestimable pour toutes les personnes concernées. Il brise l’isolement et la solitude. Souvent, les accueillant.e.s jouent un rôle très important dans la compréhension du système suisse et dans l’accompagnement des réfugié.e.s dans les démarches kafkaïennes auxquelles elles sont confrontées.
Quand cet accompagnement se fait en collaboration et en bonne intelligence avec les professionnels, c’est un bénéfice indéniable pour toutes et tous. Finalement, l’action de groupes locaux a un impact non négligeable sur le discours politique ambiant et permet bien souvent de casser les préjugés et de démonter les idées reçues. Le témoignage de juramigrants.ch rappelle aussi que nous sommes toutes et tous des êtres humains et qu’on peut aussi passer du bon temps ensemble et vivre tout simplement.
Si vous voulez aller plus loin, trouver des réponses aux questions que vous vous posez ou encore trouver des arguments pour contrer les discours simplistes, je vous invite à consulter le site extrêmement bien fait et très complet de l’association Vivre Ensemble : https://asile.ch/ qui édite également une revue « Vivre Ensemble» (abonnement 20.- Frs par année pour 5 numéros). Le site de l’ODAE romand est aussi une source d’informations précieuses : https://odae-romand.ch/ (observatoire romand du droit d’asile et des étrangers). Pour une dimension plus nationale, je vous recommande le site de solidarité sans frontière : https://www.sosf.ch/fr .
Lucine Miserez